Nous sommes tout près maintenant. Curieusement, à cette hauteur dans les montagnes, il semblerait que nous soyons enfin libérés de l’oppressante influence de l’Insondable. J’avais oublié cette sensation depuis bien longtemps.

Le lac qu’a découvert Fedik se trouve à présent en dessous de nous – je l’aperçois depuis la saillie. Il paraît encore plus irréel vu d’ici avec son éclat vitreux, quasi métallique. Je regrette presque de ne pas l’avoir laissé prélever un échantillon de ses eaux.

Peut-être était-ce son intérêt qui a mis en rage la créature de brume qui nous suit. Peut-être… était-ce que qui l’a poussée à l’attaquer, le poignardant de son invisible couteau.

Curieusement, cette agression me réconforte. Au moins, je sais qu’un autre l’a vu depuis. Ce qui signifie que je ne suis pas fou.

 

33

 

— Alors… tout s’arrête là ? demanda Vin. Pour le plan, je veux dire.

Ham haussa les épaules.

— Si les Inquisiteurs ont fait craquer Marsh, ça veut dire qu’ils savent tout. Ou du moins juste assez. Ils vont savoir qu’on a l’intention d’attaquer le palais, et qu’on va se servir de la guerre entre maisons comme couverture. Maintenant, on ne pourra plus faire sortir le Seigneur Maître de la ville, et on ne pourra certainement plus jamais envoyer les gardes du palais en ville. Les choses se présentent mal, Vin.

Elle se tut tandis qu’elle absorbait ces informations. Ham était assis en tailleur sur le sol crasseux, adossé aux briques du mur du fond. La planque de repli était une cellule froide et humide ne possédant que trois pièces, et l’air y sentait la terre et la cendre. Les apprentis de Clampin occupaient une pièce à eux seuls, même si Dockson avait renvoyé tous les autres serviteurs avant de rejoindre la planque.

Brise se tenait près du mur du fond. De temps à autre, il jetait des coups d’œil inquiets au sol crasseux et aux tabourets poussiéreux, mais décidait ensuite de rester debout. Vin ne comprenait pas pourquoi il prenait cette peine – il lui serait pratiquement impossible de garder son costume propre en vivant dans ce qui n’était, au fond, guère plus qu’un trou dans le sol.

Brise n’était pas le seul à mal supporter la captivité qu’ils s’imposaient eux-mêmes ; Vin avait entendu plusieurs des apprentis grommeler qu’ils auraient presque préféré être capturés par le Ministère. Pourtant, lors des deux jours passés dans la cave, personne n’avait quitté la planque autrement qu’en cas d’absolue nécessité. Ils comprenaient le danger : Marsh avait pu donner aux Inquisiteurs les descriptions et faux noms de chaque membre.

Brise secoua la tête.

— Peut-être, messieurs, est-il temps de mettre fin à cette opération. Nous avons fait de notre mieux, et compte tenu du fait que notre plan d’origine – rassembler l’armée – a si atrocement mal fini, je dirais que nous nous en sommes magnifiquement sortis.

Dockson soupira.

— Eh bien, nous n’allons pas pouvoir survivre longtemps avec nos économies – surtout si Kell continue à distribuer notre argent aux skaa.

Il était assis près de la table qui représentait le seul ameublement de la pièce, avec ses livres, ses notes et ses contrats les plus importants rangés en piles soigneuses devant lui. Il avait rassemblé avec une remarquable efficacité chaque morceau de papier qui aurait pu compromettre la bande ou révéler d’autres informations concernant leur plan.

Brise hocha la tête.

— Moi, en ce qui me concerne, j’aspire à un changement. Tout ça nous a procuré beaucoup de joie, de ravissement et tout un tas d’autres émotions épanouissantes, mais travailler avec Kelsier peut se révéler un poil épuisant.

Vin fronça les sourcils.

— Vous n’allez pas rester dans sa bande.

— Tout dépend de sa prochaine mission, répondit Brise. On ne fonctionne pas comme les autres bandes que tu as connues on travaille selon nos envies, pas selon ce qu’on nous ordonne. On gagne à faire preuve de discernement dans le choix de nos missions. Les récompenses sont grandes, mais les risques aussi.

Ham sourit, les bras nonchalamment jetés derrière la tête, ignorant totalement la saleté.

— À se demander comment on s’est retrouvés embarqués dans cette mission-là, hein ? Risques énormes pour une récompense minime.

— Inexistante, tu veux dire, souligna Brise, Maintenant, on n’obtiendra jamais cet atium. C’était bien joli, tout le discours de Kelsier sur l’altruisme et le fait d’aider les skaa, mais j’ai toujours espéré qu’on réussirait quand même à piquer ce trésor.

— Exact, dit Dockson en levant les yeux de ses notes. Mais est-ce que ça en valait la peine, de toute façon ? Le boulot qu’on a fait – les choses qu’on a accomplies ?

Après une hésitation, Brise et Ham hochèrent la tête.

— Et c’est pour ça qu’on est restés, dit Dockson. Kell le disait lui-même : il nous a choisis parce qu’il savait qu’on tenterait quelque chose de différent pour accomplir un but qui en valait la peine. Vous êtes des gens bien – même toi, Brise. Ne me regarde pas comme ça.

Ces plaisanteries familières firent sourire Vin. Il régnait un sentiment de deuil vis-à-vis de Marsh, mais c’étaient là des hommes qui savaient s’obstiner malgré leurs pertes. De ce point de vue, ils ressemblaient finalement beaucoup aux skaa.

— Une guerre entre les maisons, dit Ham d’un ton vague en souriant pour lui-même. Combien de morts parmi les nobles, à votre avis ?

— Des centaines, au moins, répondit Dockson sans lever les yeux. Tous tués de leurs propres mains avides.

— Je reconnais que j’avais quelques doutes par rapport à tout ce fiasco, déclara Brise. Mais la perturbation des échanges commerciaux, sans parler du chaos au sein du gouvernement… Eh bien, tu as raison, Dockson. Ça en valait la peine.

— Tiens donc ! répondit Ham, imitant la voix guindée de Brise.

Ils vont me manquer, songea Vin avec regret. Peut-être que Kelsier m’emmènera avec lui pour sa prochaine mission.

Un bruit résonna dans l’escalier, et Vin retourna par réflexe se cacher parmi les ombres. La porte fendillée s’ouvrit pour laisser entrer une silhouette familière vêtue de noir. Il portait sa cape de brume sur le bras et affichait une mine d’une incroyable lassitude.

— Kelsier ! s’exclama Vin en s’avançant.

— Bonjour, tout le monde, répondit-il d’une voix épuisée.

Je connais cette fatigue, se dit Vin. L’abus de potin. Où était-il passé ?

— Tu es en retard, Kell, fit remarquer Dockson sans lever les yeux de ses livres.

— La cohérence est le but de toute ma vie, répondit Kelsier en laissant tomber sa cape de brume par terre, avant de s’étirer puis de s’asseoir. Où sont Clampin et Spectre ?

— Clampin dort dans la pièce du fond, répondit Dockson. Spectre est parti avec Renoux. On s’est dit que tu aimerais qu’il ait notre meilleur Œil-d’étain pour le surveiller.

— Bonne idée, répondit Kelsier, qui poussa un profond soupir et ferma les yeux tout en s’appuyant au mur.

— Mon cher, lui dit Brise, tu as une mine affreuse.

— Ce n’est pas aussi terrible que ça en a l’air – j’ai fait le trajet retour sans trop forcer et je me suis même arrêté pour dormir quelques heures en cours de route.

— D’accord, mais étais-tu passé ? demanda Ham d’une voix lourde de sous-entendus. On était malades d’inquiétude à l’idée que tu sois parti faire quelque chose… eh bien, quelque chose de stupide.

— En réalité, rectifia Brise, on était persuadés que tu étais parti faire quelque chose de stupide. On se demandait juste à quel point cet événement-là se révélerait stupide. Alors, qu’est-ce que c’était ? Tu as assassiné le grand prélan ? Massacré des dizaines de lords ? Volé la cape du Seigneur Maître sur son propre dos ?

— J’ai détruit les Fosses de Hathsin, répondit doucement Kelsier.

Un silence stupéfait retomba dans la pièce.

— Tout de même, déclara enfin Brise, on pourrait croire que, après tout ce temps, on aurait appris à ne pas le sous-estimer.

— Tu les as détruites ? répéta Ham. Comment est-ce qu’on détruit les Fosses de Hathsin ? Ce n’est qu’une série de crevasses dans le sol !

— En fait, je n’ai pas réellement détruit les Fosses elles-mêmes, expliqua Kelsier. Je me suis contenté de faire éclater les cristaux qui produisent les géodes d’atium.

— Tous ? demanda Dockson, stupéfait.

— Tous ceux que j’ai pu trouver, répondit Kelsier. Et ça représentait l’équivalent de plusieurs centaines de cavités. En fait, c’était beaucoup plus facile d’y descendre maintenant que je dispose de l’allomancie.

— Des cristaux ? intervint Vin, perdue.

— Les cristaux d’atium, Vin, expliqua Dockson. Ils produisent les géodes – je crois que personne ne sait vraiment comment – qui comportent des billes d’atium au centre.

Kelsier hocha la tête.

— C’est à cause de ces cristaux que le Seigneur Maître ne peut pas se contenter d’envoyer des allomanciens là-dessous pour extraire des géodes d’atium à l’aide de Tractions. Utiliser l’allomancie près de ces cristaux les fait éclater – et ils mettent ensuite des siècles à repousser.

— Des siècles pendant lesquels ils ne produiront plus d’atium, ajouta Dockson.

— Et alors vous…

Vin laissa sa phrase en suspens.

— J’ai plus ou moins anéanti la production d’atium dans l’Empire Ultime pour les trois prochains siècles.

Elend. La Maison Venture. Ils sont responsables des Fosses. Comment le Seigneur Maître va-t-il réagir en apprenant la nouvelle ?

— Espèce de cinglé, dit doucement Brise, les yeux écarquillés. L’atium est le fondement de l’économie impériale – c’est principalement parce qu’il le contrôle que le Seigneur Maître conserve son emprise sur la noblesse. On n’atteindra peut-être pas ses réserves, mais ce que tu viens de faire aura le même effet sur le long terme. Espèce de cinglé… Espèce de génie !

Kelsier eut un sourire ironique.

— J’apprécie ces deux compliments. Est-ce que les Inquisiteurs s’en sont déjà pris à la boutique de Clampin ?

— Nos guetteurs n’ont encore rien vu, répondit Dockson.

— Parfait, répondit Kelsier. Peut-être qu’ils n’ont pas réussi à faire céder Marsh. Au minimum, peut-être qu’ils ne se rendent pas compte que leurs bases d’Apaiseurs sont découvertes. Maintenant, si ça ne vous dérange pats, je vais aller dormir. Nous aurons pas mal de préparatifs à faire demain.

Le groupe marqua une pause.

— Préparatifs ? demanda enfin Dox. Kell… On était plus ou moins en train de se dire qu’on ferait mieux d’en rester là. On a provoqué une guerre entre les maisons, et tu viens de détruire l’économie impériale. Maintenant que notre couverture – et notre plan – sont compromis… Enfin, tu ne t’attends quand même pas à faire encore autre chose ?

Kelsier sourit, se leva en titubant et se dirigea vers la pièce du fond.

— On en parlera demain.

 

— Qu’est-ce que vous croyez qu’il mijote, Sazed ? demanda Vin, assise sur un tabouret près du foyer de la cave tandis que le Terrisien préparait le repas de l’après-midi.

Kelsier avait dormi toute la nuit et ne s’était pas encore levé de la journée.

— Je n’en ai pas la moindre idée, Maîtresse, répliqua Sazed tout en goûtant le ragoût. Cela dit, avec le chaos qui règne en ville, le moment me paraît effectivement l’occasion parfaite de frapper l’Empire Ultime.

Vin réfléchit un moment.

— J’imagine qu’on pourrait toujours s’emparer du palais – c’est ce que Kell veut faire depuis le début. Mais si le Seigneur Maître a été prévenu, les autres ne veulent pas qu’on tente le coup. Et puis je ne crois pas qu’on ait assez de soldats pour faire grand-chose dans la ville. Ham et Brise n’ont jamais terminé le recrutement.

Sazed haussa les épaules.

— Peut-être que Kelsier compte faire quelque chose au sujet du Seigneur Maître, ajouta Vin, songeuse.

— Possible.

— Sazed ? dit lentement Vin. Vous collectionnez bien les légendes, dites ?

— En tant que Gardien, je collectionne beaucoup de choses, répondit-il. Les histoires, les légendes, les religions. Quand j’étais jeune, un autre Gardien m’a récité l’intégralité de son savoir afin que je puisse le mémoriser, puis le compléter.

— Vous connaissiez cette légende du « Onzième Métal » dont parle Kelsier ?

Sazed réfléchit.

— Non, Maîtresse. C’était une nouveauté pour moi quand je l’ai entendue de la bouche de Maître Kelsier.

— Mais il jure qu’elle est authentique, répondit Vin. Et je… je le crois, en fait.

— Il est fort possible qu’il existe des légendes dont je n’ai jamais entendu parler, répondit Sazed. Si les Gardiens savaient tout, pourquoi aurions-nous besoin de continuer à chercher ?

Vin hocha la tête, toujours un peu hésitante.

Sazed continua à remuer la soupe. Il paraissait tellement… digne, même lorsqu’il s’affairait à ce genre de tâche domestique. Il se tenait bien droit dans sa robe d’intendant, sans paraître remarquer la simplicité du service qu’il rendait, remplaçant tout naturellement les serviteurs dont la bande s’était séparée.

Des pas rapides résonnèrent dans l’escalier et Vin s’anima, glissant au bas de son tabouret.

— Maîtresse ? demanda Sazed.

— Quelqu’un dans l’escalier, répondit-elle en se dirigeant vers la porte.

L’un des apprentis – Tase, si elle avait bonne mémoire – déboula dans la pièce principale. Depuis le départ de Lestibournes, Tase était devenu le guetteur principal de la bande.

— Les gens se rassemblent sur la place, annonça-t-il en désignant l’escalier.

— Qu’est-ce qui se passe ? demanda Dockson qui entra depuis l’autre pièce.

— Des gens sur la place aux fontaines, Maître Dockson, répondit le garçon. On raconte dans la rue que les obligateurs ont prévu d’autres exécutions.

Une vengeance pour les Fosses, songea Vin. Ils n’ont pas perdu de temps.

L’expression de Dockson s’assombrit.

— Va réveiller Kell.

 

— Je compte aller y assister, déclara Kelsier, qui traversait la pièce vêtu d’une simple tenue de skaa avec une cape.

Le ventre de Vin se serra. Encore ?

— Vous êtes libres de faire ce que vous voulez, poursuivit-il.

Il paraissait bien plus en forme après son repos prolongé – son épuisement avait disparu, remplacé par la force caractéristique que Vin attendait désormais de lui.

— Ces exécutions ont dû être décidées en réaction à ce que j’ai fait aux Fosses, poursuivit Kelsier. Je vais assister à la mort de ces gens – car indirectement, je l’ai causée.

— Ce n’est pas ta faute, Kell, dit Dockson.

— C’est notre faute à tous, répondit Kelsier sans ménagement. Ça ne signifie pas pour autant que ce que nous faisons est mal – simplement, sans nous, ces gens ne seraient pas obligés de mourir. À titre personnel, j’estime que le moins que nous puissions faire pour eux, c’est être témoins de leur décès.

Il ouvrit la porte et gravit les marches. Lentement, le reste de la bande le suivit – même si Clampin, Sazed et les apprentis demeurèrent dans la planque.

Vin monta les marches qui sentaient le renfermé et rejoignit enfin les autres dans une rue crasseuse en plein cœur d’un ghetto skaa. De la cendre tombait du ciel, en flocons paresseux. Kelsier descendait déjà la rue, et les autres – Brise, Ham, Dockson et Vin – marchaient rapidement pour le rattraper.

La planque n’était pas très éloignée de la place aux fontaines. Kelsier, toutefois, s’arrêta à quelques rues de leur destination. Des skaa aux yeux éteints continuaient à marcher autour d’elle, bousculant la foule. Des cloches sonnaient au loin.

— Kell ? demanda Dockson.

Kelsier inclina la tête.

— Vin, tu as entendu ça ?

Elle ferma les yeux puis attisa son étain. Concentre-toi, se dit-elle. Comme le conseillait Spectre. Élimine les bruits de pas traînants et les murmures. Ignore les claquements de porte et les respirations. Écoute…

— Des chevaux, dit-elle en étouffant son étain et en ouvrant les yeux. Et des voitures.

— Des charrettes, répondit Kelsier qui se tourna en direction du côté de la rue. Celles des prisonniers. Ils arrivent par ici.

Il leva les yeux vers les bâtiments qui l’entouraient, puis agrippa une gouttière et entreprit de gravir un mur. Brise leva les yeux au ciel, donna un coup de coude à Dockson et désigna d’un mouvement de tête la façade du bâtiment, mais Vin et Ham – à l’aide de potin – suivirent Kelsier sans mal jusqu’au toit.

— Là, dit Kell, désignant une rue un peu plus loin.

Vin distinguait à grand-peine une rangée de charrettes munies de barreaux qui roulaient vers la place.

Dockson et Brise rejoignirent le toit en pente par une fenêtre. Kelsier demeura là où il se trouvait, debout près du bord du toit, observant les charrettes des prisonniers.

— Kell, lui lança Ham, méfiant. À quoi est-ce que tu penses ?

— Nous sommes toujours à une petite distance de la place, dit-il lentement. Et les Inquisiteurs ne voyagent pas avec les prisonniers – ils vont descendre du palais, comme la dernière fois. Il ne peut pas y avoir plus d’une centaine de soldats qui gardent ces gens.

— Une centaine, c’est déjà énorme, Kell, répondit Ham.

Kelsier ne parut pas l’entendre. Il s’avança d’un nouveau pas, approchant du bord du toit.

— Je peux arrêter tout ça… Je peux les sauver.

Vin alla se placer près de lui.

— Kell, il n’y a peut-être pas beaucoup de gardes avec les prisonniers, mais la place aux fontaines n’est qu’à quelques rues d’ici. Elle est remplie de soldats, sans parler des Inquisiteurs !

Ham, étonnamment, ne l’appuya pas. Il se retourna pour regarder Dockson et Brise. Dox hésita, puis haussa les épaules.

— Vous êtes tous cinglés ? demanda Vin.

— Attendez un instant, dit Brise en plissant les yeux. Je ne suis pas un Œil-d’étain, mais vous ne trouvez pas que certains de ces prisonniers sont un peu trop bien habillés ?

Kelsier se figea, puis jura. Sans prévenir, il bondit au bas du toit et se laissa tomber dans la rue.

— Kell ! s’exclama Vin. Qu’est-ce qui…

Puis elle s’interrompit, levant les yeux pour observer la procession de charrettes qui approchait lentement à la lumière du soleil rouge. Grâce à ses yeux affinés par l’étain, il lui sembla reconnaître quelqu’un assis près de l’avant d’une des charrettes.

Spectre.

 

— Kelsier, qu’est-ce qui se passe ? demanda Vin avec insistance, filant à sa suite dans la rue.

Il ralentit très légèrement.

— J’ai vu Renoux et Spectre dans cette première charrette. Le Ministère a dû attaquer les péniches – les gens enfermés dans ces cages sont les serviteurs, le personnel et les gardes que nous avons engagés pour travailler au manoir.

La caravane… se dit Vin. Le Ministère doit savoir que Renoux était un imposteur. Marsh a bien dû craquer, en fin de compte.

Derrière eux, Ham sortit du bâtiment dans la rue. Brise et Dockson furent plus lents à les rejoindre.

— Il faut qu’on fasse vite ! dit Kelsier en pressant de nouveau le pas.

— Kell ! s’exclama Vin en lui saisissant le bras. Kelsier, vous ne pouvez pas les sauver. Ils sont trop bien gardés, et on est en plein jour au beau milieu de la ville. Vous n’allez réussir qu’à vous faire tuer !

Il hésita, s’arrêta dans la rue et se retourna vers Vin. Il la regarda droit dans les yeux, déçu.

— Tu ne comprends pas de quoi il s’agit, hein, Vin ? Tu ne l’as jamais compris. Je t’ai laissée m’arrêter une fois, sur cette colline près du champ de bataille. Mais pas cette fois. Cette fois, je peux agir.

— Mais…

Il dégagea brusquement son bras.

— Tu as encore des choses à apprendre sur l’amitié, Vin. J’espère qu’un jour, tu les comprendras.

Puis il s’éloigna, fonçant dans la direction des charrettes. Ham dépassa Vin à toute allure, dans une autre direction, bousculant des skaa en route pour la place.

Vin resta plantée là quelques instants, hébétée, sous les chutes de cendre, tandis que Dockson la rattrapait.

— C’est de la folie, marmonna-t-elle. On ne peut pas faire ça, Dox. On n’est pas invincibles.

Dockson ricana.

— Mais pas impuissants non plus.

Brise haletait derrière eux, désignant une rue latérale.

— Par là. Il faut qu’on me trouve un endroit d’où je verrai les soldats.

Vin se laissa entraîner, soudain envahie par un mélange de honte et d’inquiétude.

Kelsier…

 

Kelsier jeta deux flacons vides dont il venait d’ingérer le contenu. Les flacons scintillèrent dans l’air près de lui et allèrent se fracasser sur les pavés. Il traversa une dernière ruelle pour se retrouver dans une voie publique étrangement vide.

Les charrettes des prisonniers roulaient vers lui, pénétrant dans une petite cour formée par l’intersection de deux rues. Chaque véhicule rectangulaire était muni de barreaux ; chacun était rempli d’individus désormais nettement reconnaissables. Serviteurs, soldats, gouvernantes – certains étaient des rebelles, beaucoup étaient simplement des gens ordinaires. Aucun d’entre eux ne méritait la mort.

Trop de skaa sont déjà morts, songea-t-il en attisant ses métaux. Des centaines. Des milliers. Des centaines de milliers.

Pas aujourd’hui. Il faut que ça s’arrête.

Il laissa tomber une pièce et bondit. Se propulsa dans les airs selon un grand arc. Des soldats levèrent les yeux en le désignant. Kelsier atterrit pile en leur milieu.

Il y eut un silence tandis que les soldats surpris se retournaient. Kelsier était accroupi parmi eux et des particules de cendres tombaient du ciel.

Puis il poussa.

Il attisa son acier avec un cri, se releva et exerça une Poussée. Cet éclat de pouvoir allomantique écarta violemment les soldats par leur plastron, projetant une dizaine d’hommes dans les airs pour les envoyer heurter leurs compagnons ainsi que les murs.

Des hommes hurlèrent. Kelsier pivota, exerçant une Poussée contre un groupe de soldats pour s’élancer dans les airs en direction d’une des charrettes. Il la percuta de plein fouet, attisant son acier et agrippant la porte métallique à deux mains.

Les prisonniers surpris se serrèrent les uns contre les autres. Les muscles nourris par le potin, Kelsier arracha la porte puis la jeta vers un groupe de soldats en approche.

— Filez ! dit-il aux prisonniers avant de bondir et d’atterrir avec légèreté dans la rue, puis de pivoter.

Pour se retrouver face à face avec une haute silhouette vêtue d’une robe brune. Kelsier recula tandis que la silhouette baissait son capuchon, révélant deux yeux transpercés par des tiges d’acier.

L’Inquisiteur sourit, et Kelsier entendit des pas approcher le long d’allées latérales. Des dizaines. Des centaines.

 

— Enfer et damnation ! jura Brise tandis que les soldats envahissaient la place.

Dockson attira Brise dans une ruelle. Vin les y suivit, accroupie parmi les ombres, écoutant les soldats brailler dans le carrefour à l’extérieur.

— Quoi ? demanda-t-elle avec insistance.

— Un Inquisiteur ! dit Brise en désignant une silhouette vêtue d’une robe qui se tenait devant Kelsier.

— Quoi ? demanda Dockson en se levant.

C’est un piège, comprit Vin, horrifiée. Les soldats commencèrent à s’entasser sur la place, surgis de rues latérales cachées. Kelsier, filez de là tout de suite !

 

Kelsier exerça une Poussée contre un garde tombé à terre et se projeta d’un salto arrière par-dessus l’une des charrettes de prisonniers. Il atterrit accroupi, mesurant du regard les nouvelles escouades de soldats. Beaucoup portaient des bâtons mais pas d’armure. Des brumicides.

L’Inquisiteur se propulsa dans l’air rempli de cendres et atterrit devant Kelsier avec un bruit sourd. La créature sourit.

C’est le même homme. L’Inquisiteur de l’autre fois.

— Où est la jeune fille ? demanda doucement la créature.

Kelsier ignora la question.

— Pourquoi êtes-vous seul ? demanda-t-il avec insistance.

Le sourire de la créature s’élargit.

— J’ai été tiré au sort.

Kelsier attisa son potin, filant sur le côté tandis que l’Inquisiteur tirait deux haches d’obsidienne. La place se retrouva bientôt envahie de soldats. Il entendait des gens l’appeler depuis l’intérieur des charrettes.

— Kelsier ! Lord Kelsier ! Par pitié !

Kelsier jura tout bas tandis que l’Inquisiteur fonçait sur lui. Il tendit la main, prit appui sur l’une des charrettes toujours remplies et s’élança dans les airs au-dessus d’un groupe de soldats. Il atterrit, puis fonça vers la charrette dans l’intention de libérer ses occupants. Mais lorsqu’il arriva, la charrette s’ébranla. Kelsier leva les yeux juste à temps pour voir un monstre aux yeux d’acier lui sourire depuis le toit du véhicule.

Kelsier se projeta en arrière à l’aide d’une Poussée et sentit le souffle d’un grand coup de hache près de sa tête. Il atterrit avec agilité, mais dut aussitôt bondir sur le côté lorsqu’un groupe de soldats l’attaqua. Alors qu’il atterrissait, il tendit la main – utilisant l’une des charrettes comme point d’ancrage – et tira sur la porte d’acier qu’il avait jetée à terre un peu plus tôt. La porte barrée s’élança dans les airs et traversa violemment le groupe de soldats.

L’Inquisiteur attaqua par-derrière, mais Kelsier s’éloigna d’un bond. La porte toujours en train de dégringoler glissa sur les pavés devant lui, et alors qu’il la survolait, Kelsier décolla d’une Poussée.

Vin avait raison, songea Kelsier, frustré. En bas, l’Inquisiteur le suivait de ses yeux contre nature. Je n’aurais pas dû faire ça. En bas, un groupe de soldats rassemblait les prisonniers qu’il avait libérés.

Je ferais mieux de m’enfuir – d’essayer de semer l’Inquisiteur.

Mais… il ne pouvait pas. Il ne le ferait pas, pas cette fois-ci. Il s’était compromis trop souvent par le passé. Même si ça lui coûtait tout le reste, il fallait qu’il libère ces prisonniers.

Puis, alors qu’il commençait sa redescente, il vit un groupe d’hommes se précipiter au carrefour. Ils portaient des armes, mais pas d’uniformes. À leur tête, une silhouette familière.

Ham ! C’est donc là que tu étais.

 

— Qu’est-ce qui se passe ? demanda une Vin anxieuse qui tendait le cou pour voir la place.

Au-dessus, la silhouette de Kelsier plongeait de nouveau vers la mêlée, sa cape sombre flottant derrière lui.

— C’est l’un de nos groupes de soldats ! répondit Dockson. Ham a dû aller les chercher.

— Combien ?

— On les rassemblait par groupes de deux ou trois cents.

— Alors ils vont être surpassés en nombre.

Dockson hocha la tête.

— J’y vais, déclara Vin en se levant.

— Pas question, répondit fermement Dockson qui la saisit par sa cape pour la tirer en arrière. Je ne veux pas revivre ce qui s’est passé la dernière fois que tu as affronté un de ces monstres.

— Mais…

— Kell va s’en sortir, dit Dockson. Il va simplement essayer de gagner assez de temps pour que Ham libère les prisonniers, ensuite il va s’enfuir. Regarde.

Vin recula.

Près d’elle, Brise marmonnait pour lui-même.

— Oui, tu as peur. Concentrons-nous là-dessus. Apaisons tout le reste. Pour te laisser terrifié. Ce sont un Inquisiteur et un Fils-des-brumes qui se battent – tu n’as aucune envie de te mêler de ça…

Vin jeta un coup d’œil en arrière en direction de la place, où elle vit un soldat laisser tomber son bâton et s’enfuir. Il y a d’autres moyens de se battre, songea-t-elle en s’agenouillant près de Brise.

— Qu’est-ce que je peux faire ?

 

Kelsier recula une fois de plus pour éviter l’Inquisiteur tandis que l’unité de Ham fonçait sur les soldats impériaux et se frayait un chemin vers les charrettes des prisonniers. L’attaque détourna l’attention des soldats ordinaires, qui ne paraissaient que trop contents de laisser Kelsier et l’Inquisiteur à leur bagarre solitaire.

Sur le côté, Kelsier apercevait des skaa qui commençaient à bloquer les rues autour de la petite cour à mesure que la bagarre attirait l’attention de ceux qui attendaient au-dessus de la place aux fontaines. Kelsier voyait d’autres escouades de soldats impériaux s’efforcer de bousculer la foule pour rejoindre la bagarre, mais les milliers de skaa qui peuplaient les rues ralentissaient sérieusement leur progression.

L’Inquisiteur pivota et Kelsier esquiva. La créature était manifestement frustrée. Sur le côté, un petit groupe d’hommes de Ham atteignit l’une des charrettes de prisonniers et en brisa le verrou. Le reste de ses hommes occupa les soldats impériaux tandis que les prisonniers prenaient la fuite.

Kelsier sourit tout en regardant l’Inquisiteur contrarié. La créature se mit à gronder doucement.

— Valette ! hurla une voix.

Kelsier se retourna, stupéfait. Un noble élégamment vêtu se frayait un chemin parmi les soldats en direction du cœur de la mêlée. Il portait une canne de duel et était protégé par deux gardes du corps aux abois, mais s’il évitait de prendre des coups, c’était surtout parce que personne n’était sûr de vouloir frapper un homme qui paraissait manifestement de sang noble.

— Valette ! hurla de nouveau Elend Venture, avant de se retourner vers l’un des soldats. Qui vous a dit d’attaquer le convoi de la Maison Renoux ? Qui a autorisé ceci ?

Génial, se dit Kelsier tout en gardant un œil méfiant sur l’Inquisiteur. La créature toisait Kelsier avec une expression déformée par la haine.

Continue à me haïr comme ça, songea Kelsier. Je n’ai qu’à tenir assez longtemps pour que Ham libère les prisonniers. Ensuite, je pourrai t’attirer ailleurs.

L’Inquisiteur tendit la main et décapita avec désinvolture une servante qui passait tout près dans sa fuite.

— Non ! hurla Kelsier tandis que le corps s’effondrait aux pieds de l’Inquisiteur.

La créature s’empara d’une autre victime puis éleva sa hache.

— Très bien, dit Kelsier qui s’avança vers elle en tirant deux flacons de sa ceinture. Très bien. Tu veux la bagarre ? Alors viens là !

La créature sourit, repoussa sur le côté la captive et s’avança vers Kelsier.

Ce dernier ôta les bouchons et vida d’un trait les deux flacons avant de les jeter. Les métaux s’attisèrent dans sa poitrine, où ils s’embrasèrent en même temps que sa fureur. Son frère, mort. Sa femme, morte. Sa famille, ses amis, ses héros. Tous morts.

Vous voulez me pousser à la revanche ? songea-t-il. Eh bien, vous l’aurez !

Kelsier s’arrêta à deux mètres devant l’Inquisiteur. Poings serrés, il attisa son acier en une vigoureuse Poussée. Autour de lui, tous les gens qui portaient du métal se retrouvèrent projetés en arrière lorsqu’ils furent frappés par cette formidable onde invisible de pouvoir. Au cœur de la place – remplie de soldats impériaux, de prisonniers et de rebelles – s’ouvrit un petit creux autour de Kelsier et de l’Inquisiteur.

— Alors allons-y, dit Kelsier.

L'empire ultime
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